Sophie Blanchard, intrépide pionnière de l’aérostation

7 octobre 2019 Histoire de l’aérostation

Une histoire de femme et d’un vaisseau volant !

Sophie Armand est née en 1778 à Trois-Canons près de La Rochelle. En 1796 elle se marie à Jean-Pierre Blanchard, mécanicien et inventeur génial du célèbre aérostat, « le vaisseau volant ».

Envol de Blanchard du Champ de Mars, le 3 mars 1784, anonyme, fin XVIIIème siècle, huile sur toile, musée de l’Air et de l’Espace, Le Bourget

Ainsi, à tout juste 18 ans, cette jeune femme pénètre le monde merveilleux des engins volants ! Sa vie s’organise désormais autour des montgolfières et ballons à gaz. Elle suit son mari dans ses multiples déplacements, participe activement à ses activités aérostatiques, apprend « sur le métier » comment fabriquer, réparer les enveloppes et nacelles, chauffer ou produire le gaz et enfin, bien sûr, piloter les ballons !

Le vol en montgolfière et en ballon à gaz, appelés communément aérostats, est né en 1783 grâce aux frères Montgolfier. A la fin des années 1790, une centaine de personnes à travers le monde a tenté l’expérience d’un vol, davantage par curiosité comme passagers que par goût de l’aérostation et ses techniques de pilotage.

Des manifestations sont organisées partout pour répondre à la demande du public qui s’émerveille de cette extraordinaire invention. Le couple Blanchard, très sollicité, ne cesse de multiplier les ascensions aériennes dans toutes les villes de France et d’Europe.

Sophie Blanchard, d’abord aérostière aux côtés de son mari puis en solo,
jeune femme intrépide, se passionne pour l’activité aérostatique et y
consacre toute sa vie.

Une des premières parachutistes de l’histoire !

Pour la fête du roy, Elisa Garneri

Considérée comme la première femme aérostière de l’Histoire, Sophie commence en réalité par pratiquer le parachutisme. Cette activité plutôt acrobatique consiste à se laisser tomber d’un ballon accroché à un grand tissu en forme de parapluie. Cette activité est bien téméraire car ce « parachute »est très instable. Néanmoins, Sophie Blanchard est reconnue aujourd’hui comme une pionnière du parachutisme aux côtés d’Elisa Garnerin, autre jeune fille courageuse dans cette activité périlleuse !

Première femme pilote de ballon à gaz de l’histoire

Mais revenons aux ballons et à l’aérostation : en 1805, à Toulouse, Sophie s’élance pour la première fois, seule dans la nacelle, pour un 1er vol de plus de 2 heures ! Après la mort de son mari, elle ne renonce en rien à sa passion et s’engage pleinement dans une carrière de pilote de ballon à gaz.

Désormais seule à manœuvrer le ballon gonflé à l’hydrogène, elle participe à des événements festifs d’exception car il est l’objet d’admiration par ses contemporains.

Sophie Blanchard, une aventurière engagée pour servir son art

Dès 1808 Sophie Blanchard s’engage dans une carrière professionnelle de pilote d’aérostat qui la mène aux quatre coins de l’Europe. Ainsi, on peut la voir prendre son envol à Francfort-sur-le-Main, Rome et Naples au début des années 1810 ou encore à Turin en 1812.

M. S. Blanchard, celebre aeronauta al momento del volo aersotation da lei eseguito in Milano in presenza delle LL. AA. JJ. e RR. la sera del 15 Agosto 1811, in wikipedia

Une superbe ascension lors du mariage de Napoléon Ier

En 1810 à Paris, elle décore magnifiquement son ballon à l’occasion des commémorations autour du mariage de Napoléon Ier avec l’héritière d’Autriche Marie-Louise. La Garde impériale organise alors une fête somptueuse le 24 juin à L’École militaire. Sophie évolue dans son ballon à travers le Champs-de-Mars et s’offre aux regards de la Cour impériale comme le rapporte le Moniteur universel dans son numéro du 27 juin 1810 :

« Les vainqueurs [de jeux équestres organisés pour la fête] recevaient les prix décernés à leur habileté, lorsqu’un vaste aérostat disposé dans une des contre-allées du Champ-de-Mars, orné d’emblèmes et de peintures allégoriques ingénieuses, et comme protégé par les armes impériales, s’est avancé en face des fenêtres du palais L’aéronaute qui le montait était une femme, Mme Blanchard, dont de nombreux voyages aériens ont fait connaître le nom. Elle a salué LL.MM. En agitant un drapeau blanc, puis laissant élever au-dessus d’elle-même une étoile figurée qui annonçait la direction qu’elle allait prendre, elle s’est enlevée en jetant des fleurs, avec une rapidité extraordinaire; un vent assez vif la portait vers Meudon, où elle est en effet descendue sans accident. »

Ascension en ballon de madame Blanchard, Louis-Pierre Baltard, 1810, musée Napoléon Ier à Fontainebleau

Des projets aériens étourdissants !

Au-delà de ces mondanités, Sophie Blanchard développe de nombreux projets comme celui de traverser la Manche d’est en ouest. En effet, son mari Jean-Pierre Blanchard et l’anglais Jeffries réalisèrent cet exploit en 1785 par vent d’ouest, c’est à dire de Douvres à Calais en suivant les vents dominants.

Sophie veut relever le défi en inversant le parcours, fière d’espérer ainsi devenir la première pilote de ballon à gaz à rallier l’Angleterre depuis les côtes françaises. Malheureusement sa fin tragique ne lui permit pas de réaliser cet exploit.

Ses ascensions sont aussi parfois rocambolesques ! le 15 août 1811 à Milan, la fête se révèle bien mouvementée ! Emporté par une rafale, son ballon l’emporte durant 2 heures de vol jusqu’à Gênes…. où Sophie atterrit sans encombre mais en ayant parcouru près de 60 km !

A cette époque, décoller de Paris est tout à fait possible tant les espaces naturels sont encore nombreux. Ainsi, pour participer aux festivités de l’entrée de Louis XVIII dans Paris le 4 mai 1814, après la chute de l’empire, Sophie Blanchard décolle de l’Ile St Louis. Admiré de tous, le ballon est orné de verres colorés accrochés à la nacelle qui réfléchissent la lumière et le mettent en valeur dans les airs.

En revanche, le 21 septembre 1817, l’atterrissage au milieu d’un marécage près de Nantes manque de tourner au drame. Sauvée in extremis de la noyade, elle avoue s’être égarée à travers les larges étendues d’eau.

Une pilote exigeante et innovante

C’est à Paris que Sophie Blanchard exploite tout son art afin de répondre à la curiosité toujours plus insatiable de la foule. Au fil du temps, la seule ascension d’un aérostat ne suffit plus aux badauds. Elle propose désormais au public des ascensions illuminées par des feux de Bengale accrochés sous la nacelle. Malgré le danger de l’incendie, sa maîtrise technique et son expérience lui permettent cette audace. Si d’autres pilotes utilisaient aussi des feux d’artifices avec les ballons, ils lançaient des ballons perdus, trop conscients des risques encourus. Avec un gaz très inflammables comme l’hydrogène, personne ne se risquait à monter à bord de la nacelle !

Or, Sophie Blanchard, femme intrépide dans un monde d’hommes, décide d’être à bord de son ballon lorsque les feux d’artifices s’allument et embrasent la nuit !

Un ballon illuminé de feux d’artifices !

Le jardin de Tivoli dans le quartier de l’Europe à Paris est un lieu festif où bals populaires, concerts et activités foraines animent sans cesse le quartier. C’est là que Sophie Blanchard mena son spectacle pyrotechnique plus de vingt fois sous les yeux fascinés des parisiens.

Les pièces d’artifices étaient disposées le long d’un cercle de bois d’un large diamètre suspendu sous la nacelle par un fil de fer de 10 mètres. Des mèches à retardement allumaient les pièces au moment où le ballon s’élevait dans les airs. Le spectacle, qui donnait l’impression que le ballon s’embrasait, était magique.

Techniquement, le ballon gonflé à l’hydrogène, plutôt petit (180 m3), était rempli de gaz au maximum afin de pouvoir s’élever malgré la charge embarquée. Lors de l’ascension, en se dilatant, le gaz s’échappait par une ouverture située au bas du ballon. La distance qui séparait ce gaz inflammable des feux de Bengale était suffisante pour ne pas risquer l’incendie.

Il fallait toutefois un sacré culot et beaucoup de témérité pour s’élancer ainsi, à la tombée du jour, et laisser les feux d’artifices produire un effet spectaculaire dans la nuit.

Le ballon au cœur des spectacles populaires

Sophie Blanchard fut une incroyable aérostière, téméraire, on l’a vue, bravant les dangers pour satisfaire son public. En ce temps-là, le ballon à gaz a trouvé sa place au sein de ce qui s’appelle aujourd’hui le monde merveilleux du Spectacle Vivant. Sophie travaille sans relâche, entourée d’acrobates, chanteurs, ou saltimbanques comme on les appelait à l’époque. Ils proposent aux badauds des moments festifs, de dépaysement et de magie dans ces fêtes foraines que notre société contemporaine semble avoir un peu oublié.

Une pilote-artiste passionnée qui meurt sur scène

C’est dans cet univers à la Barnum que Sophie exerce son art. C’est également dans ce monde enchanté du spectacle de rue, dans le jardin de Tivoli, qu’elle trouve la mort, lors de sa 67ème ascension, le 6 juillet 1819 à 41 ans.

Ce soir-là, Sophie décide, pour aller plus loin dans les sensations procurées au public, d’allumer une deuxième série de feux d’artifices, accrochés sous la nacelle à un petit parachute qu’elle prévoit de lâcher après que la 1ère couronne de feux se soit éteinte. Pour réussir, il lui faut allumer elle-même les feux à partir d’une lance qu’elle enflamme et installe dans la nacelle. C’est oublié la dilatation du gaz et son échappement. L’incendie est inévitable. Le ballon subit une descente lente mais ingérable et, après avoir heurté une toiture du 6 rue de Provence, Sophie est éjectée de la nacelle.

Une pionnière populaire

La foule est très émue par la disparition de Sophie Blanchard, personnalité forte du petit monde de l’aérostation. De nombreux journaux relatent l’accident. Une « cagnotte » est même organisée par ses « fans » en faveur de ses héritiers et réunit la somme de 2400 francs.

Aujourd’hui son souvenir reste dans la mémoire des amoureux de l’aérostation. Si les pionniers sont bien des hommes, les femmes furent très tôt impliquées dans l’extraordinaire aventure du vol en ballon. Souvent associées à leur mari comme ce fut le cas pour Sophie Blanchard, la mémoire de ces pionnières mérite d’être soutenue car elles surent prendre des risques au moins autant que les hommes pour s’affirmer dans cette activité qui sans leur être interdite, ne leur était pas destinée. Sophie Blanchard fut de ces femmes, obstinée, passionnée, brave et engagée dans son art. Pionnière des femmes pilotes, elle ouvrit la voie à de nombreuses autres dont l’histoire reste à écrire et dont les exploits se trouvent enfouis dans les archives du Musée de l’Air et de l’Espace au Bourget ou la BNF.

Marie Surcouf, grande pilote militante féministe écrivait en 1912 :

« L’empire des airs appartient à tous, et qui oserait contester que la femme n’a pas le droit à la conquête des étoile ? Ce que l’homme parvient à acquérir par sa force musculaire, par son endurance physique, la femme le conquiert aussi par sa volonté, sa ténacité et son courage. »

Marie Surcouf ! Retenez-bien ce nom, une autre grande femme de l’aérostation, militante féministe haute en couleur et d’une sacrée énergie!

Si cet article a aiguisé votre curiosité, n’hésitez pas à consulter nos autres articles consacrés à l’histoire de l’aérostation ou consultez ces sources dans lesquelles j’ai puisé , Gallica bien sûr, ainsi que les ouvrages suivants

« De la montgolfière au dirigeable, le pouvoir de voler », sous la direction de Christine Kaiser, éditions Artlys, 2009,

« Aérostation », de Dupuis et Delcourt , 1850 (réédition 1978)

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